À la rencontre des grands pédagogues : Germaine TORTEL (1896-1975)

 

 

Rencontre

Lundi 14 novembre 2022 de 18 h 30 à 20 h 30, Maison des Associations de BOURTZWILLER, 62 route de Bourtzwiller ou à distance.

Le mot « pédagogue » désigne aussi bien une femme qu’un homme. Là où les choses se gâtent, c’est lorsque nous lui accolons un adjectif pour qualifier la personne de « grand » ou de « grande ». Dans la longue liste des pédagogues de renom à la rencontre desquel.le.s nous sommes éllé.e.s depuis plus de 4 ans, les femmes sont très nettement minoritaires.

Alors, pour cette nouvelle séance, place à une « grande » pédagogue trop méconnue !

Institutrice, puis Inspectrice  des écoles maternelles, Germaine Tortel s’est attachée à développer et valoriser la création artistique chez les jeunes enfants : pourquoi ? comment ?

C’est, encore une fois, le petit film que Philippe Meirieu a consacré à cette grande pédagogue qui nous servira d’entrée en matière pour échanger sur ces questions, sur nos pratiques, sur nos convictions concernant la place de la création artistique dans les apprentissages et la construction de soi. 

Ce sera aussi l’occasion de nous demander pourquoi les femmes « grandes pédagogues » sont si peu nombreuses et, surtout, s’il existe une spécificité des femmes dans le monde de la pédagogie et de l’éducation.

 

Animation

Rencontre animée à distance par Jean-Pierre Bourreau (MPM) et Tina Steltzlen (Le Rezo !)

 

Trace de la rencontre

À la rencontre des grands pédagogues 

Germaine TORTEL (1896-1975)

Lundi 14 novembre 2022

 

Germaine Tortel est une pédagogue femme, et nous avions déjà eu l’occasion de remarquer qu’elles sont peu à être référencées.

Que nous apprend le film réalisé par Philippe Meirieu ?

Germaine Tortel (1896–1975) est une pédagogue française qui s'est particulièrement intéressée au dessin d'enfant. Elle est élève de l'école normale d'institutrices de Lyon (1913-1916), puis enseigne dans le département du Rhône (1916-1932). Elle devient inspectrice de l’enseignement élémentaire et des écoles maternelles, dans la Nièvre et la Loire, puis elle est nommée à Paris en 1946, dans une circonscription maternelle, où elle reste jusqu'à sa retraite (1962). Elle est ensuite chargée du pre­mier poste de recherche sur l’école maternelle créé à l'Institut national de Recherche pédagogique.

Comme le fit également Élise Freinet, créatrice de l'idée d'Art enfantin, elle a porté un regard neuf sur les productions des enfants et en particulier sur le dessin. Elle a créé un centre de documentation sur ce sujet, et un mouvement autour d’elle pour valoriser la création dans la classe. La création plas­tique est, pour elle, un moyen d'apprentissage qui permet de comprendre le monde3.

 

Que peut-on apprendre à travers la création ?

Dans le film, avant la peinture, les enfants échangent oralement. Ils se construisent une idée et ensuite ils dessi­nent. Les premiers essais sont pris en compte collectivement. Les enfants commentent et cherchent ensemble. C’est ainsi que les dessins évoluent et se transforment. Petit à petit, une pensée indivi­duelle et collective se construit. Les enfants construisent aussi des œuvres collectives. Ils apprennent à s’impliquer, à se projeter dans ce qu’ils font.

À travers ses créations, l’enfant peut manifester sa personnalité. Dessiner, c’est faire pour penser, pour accéder au langage, construire une véritable intelligence du monde et de soi. Dessiner, c’est dire quelque chose du monde. C’est l’intersection entre l’objectivité et la subjectivité.

Dans notre monde de zapping, revenir à quelque chose où on est présent à ce qu’on fait et à soi-même semble bien important !

 

Échanges après le film

Cette pédagogie qui nous est décrite de Germaine Tortel semble pouvoir s’adresser à tous les do­maines d’enseignement et à tous les niveaux.

Lorsque nous prenons le temps d’observer ce que les élèves produisent, lorsqu’on s’appuie sur leur expression personnelle, les enfants nous surprennent, même en collège. Les productions présentées dans le film sont, à l’unanimité des participants, d’une qualité et d’une richesse impressionnantes pour des enfants de maternelle. Cette approche pédagogique est visiblement très pertinente !

Certains participants témoignent d’ailleurs des difficultés que rencontrent les enfants qui n’ont pas beaucoup dessiné quand ils étaient petits dès qu’il s’agit d’avoir une visio en 3D comme, par exemple, dans les domaines techniques tels que la mécanique ou le bâtiment. D’ailleurs, le dessin technique est peu à peu abandonné parce que les élèves n’y arrivent plus. Or, pour visualiser des étapes de construction, il est important de pouvoir imaginer, d’avoir une représentation de l’objet.

D’autres retours d’expérience constatent que les niveaux dans les classes de maternelle sont très hétérogènes et que le langage est bien souvent pauvre, voire absent. L’absence de dialogue dans les familles est une explication possible, absence d’ailleurs sans doute accentuée par les outils numé­riques… Il est donc difficile de s’appuyer sur les  échanges verbaux comme le faisait Germaine Tortel.

Certains enseignants préfèrent donc passer par un apprentissage d’outils et de graphismes avant de laisser les enfants s’exprimer librement. On est là dans une démarche opposée à celle de Germaine Tortel. Cela n’empêche cependant pas ces enseignants, de conserver un aspect collectif aux créations. Tel a été le cas par exemple de collégiens venus raconter des contes à des élèves de primaire qui en avaient réalisé les décors. Ou encore lors de la réalisation de maquettes dans le cadre d’un projet sur la ville idéale.

Une autre réponse apportée par le vécu des participants pour limiter l’impact du manque de mots pour certains enfants, et la perte supposé de créativité au fil des années, outre l’importance du col­lectif comme le souligne Germaine Tortel (et sur lequel Meirieu insiste), a été, en collège, de monter un projet avec différents enseignants intervenant dans une même classe.

Cependant, il est aussi relevé la difficulté pour un nombre non négligeable d’élèves quand il s’agit de la forme des productions artistiques : par manque de motricité fine, entre autres. Les temps chan­gent, certes, mais pas le nombre d’heures dans une journée. Le temps passé avec une manette ou un écran tactile dans les mains se fait forcément au détriment du temps disponible pour manipuler un « outil scripteur », quel qu’il soit… Ceci ayant peut-être aussi un lien avec le fond des production libres des enfants. Car encore faut-il un imaginaire suffisamment riche pour être en mesure de faire une production libre. Or cet imaginaire peut-il être autant nourri face à un écran ? Certains enfants seraient donc en très grande difficulté dans les productions libres artistiques à la fois par manque d’aisance dans le maniement des outils et des techniques artistiques, mais aussi car ils ne sont pas en mesure de verbaliser ne serait-ce qu’à l’oral ce qu’ils imaginent… Cela pose également question quand on sait combien les dessins d’enfants sont un support de travail pour les psychologues… Peut-on d’ailleurs isoler la part « de la maitrise technique » de la part « psychologique » des dessins ?

Ainsi, la définition de contraintes pour les pratiques artistiques libres et une préparation préalable pourraient-elles être une réponse pour ces élèves que la feuille blanche angoisse. Tout comme un bébé se calant dans son lit, contre, tout contre, le montant du lit, cela permet de répondre au besoin d’être contenu. Cela résonne alors avec le travail de Serge Boimare et le constat pour les enfants « empêchés de penser », qui selon lui, sont dans l’incapacité d’accepter ce nécessaire inconnue à tout apprentissage, inconnu à son apogée dans la production totalement libre.

L’approche de Germaine Tortel, mais aussi des participants à cet échange qui pratiquent l’art avec leurs élèves, rappelle également une notion d’effort.  La production ne nait pas du néant, tel Démiurge. Elle est l’aboutissement d’un (long) processus où, quelle que soit la place possible pour les échanges oraux autour du projet de production, l’ouvrage est maintes fois remis sur le mé­tier avant d’aboutir à l’œuvre définitive. Cela soulève ainsi la question du doute, du tâtonnement, de l’envie de faire mieux, de la persévérance, d’un vécu de la notion d’effort qui réduit la partie ingrate des sacrifices consentis à bien peu en comparaison de la satisfaction d’un aboutissement… D’autant plus que la prolifération des « Youtubers » et des émissions telle que la Star Académie laisse trop à penser qu’il suffit d’exprimer à peu près tout et n’importe quoi passant par la tête, après avoir construit habilement sa notoriété, pour que cela ait valeur de vérité. Rares sont les fois où il est rappelé le peu d’élus d’une part et la vie d’intense labeur, d’ingrates gammes répétées à l’infini pour parvenir à une maitrise convenable de son art d’autre part. Que de gammes, que de copies de grands maitres sont nécessaires avant d’être en mesure de les revisiter dans un premier temps, puis de créer à son tour…

Par ailleurs, pour différentes raisons, l’entrée par la maitrise des outils (et non par le lan­gage) ne peut se faire sans un réel enseignement de l’utilisation de ces outils. Sur ce point aussi, cela soulève la question de la formation des enseignants : il ne suffit pas de mettre dans les mains des élèves un pinceau pour qu’ils soient en mesure d’exprimer leur sensibilité.

Cette découverte de Germaine Tortel nous prouve combien l’art est important dans les curriculums, voire fondamental. En effet, ces pratiques différentes du formalisme des fondamentaux permet de rebattre les cartes pour certains élèves qui ont alors l’occasion (enfin) de s’exprimer, même si dans ce domaine aussi l’auto-censure apparait très tôt. Il fait également disparaitre la barrière de la langue pour tous les enfants allophones… Meirieu a d’ailleurs récemment prôné la place des activités ma­nuelles, y compris au collège.

La richesse de l’approche de Germaine Tortel induit à nouveau la question de la présence des femmes en pédagogie…

Pourquoi, par exemple, sont elles si peu nombreuses dans les différents films proposés par Mérieu ? Seraient-elles plus nombreuses si ces films étaient plus récents ? 20 ans plus tard… les choses ont dé­finitivement changé : il y a bien longtemps que l’enseignement s’est féminisé et les enseignantes-chercheuses sont maintenant nombreuses.

Avec Germaine Tortel se pose aussi la question de savoir ce qu’est un grand pédagogue ? Est-ce un enseignant qui a su passionner ses élèves, les faire grandir ? Ou Est-ce  quelqu’un qui a publié ? (un participant indique que les seuls documents écrits permettant de présenter le travail de Germaine Tortel qu’il a trouvés n’auraient pas été écrits par elle, mais par l’association). Ou encore une personne qui a été suffisamment suivie pour avoir une certaine reconnaissance – légitimité ?

Or, pour laisser une trace, il faut écrire… et cela prend du temps ! Même si les hommes prennent de plus en plus leur part dans l’organisation de la logistique familiale, la répartition des tâches reste encore largement prise en charge par les femmes.

Dans la même logique, si l’on souhaite établir la pertinence d’une approche (pédagogique ou autre), cela nécessite forcément de pouvoir comparer cette approche à ce qui se fait par ailleurs. Or là en­core, cela prend du temps… pour mettre en place les critères et les conditions de la « comparaison », puis il faut ensuite analyser ces résultats, puis les faire connaitre ; etc.

Mais les échanges font émerger l’idée que ce n’est pas tant la recherche de l’explication du si petit nombre de femmes grandes pédagogues qui est importante.  que de savoir s’il y a une éventuelle spécificité des femmes en pédagogie… Même si personne n’est certain qu’une réponse puisse être trouvée un jour ! Cependant, un membre de l’asso­ciation avait partagé un document très intéressant (mais aussi très long !) sur les femmes péda­gogues. Il serait donc intéressant d’en reparler en présence de l’auteur de cette initiative !

Claudine Braun et Agathe Chenelot

Novembre 2022