Billet MPM de juin et août 2024

Dans la tourmente,
la Maison de la Pédagogie de Mulhouse maintient le cap !

 

En ces temps de grande incertitude sur le devenir de l’école et, plus largement, de l’éducation, il nous semble important de rappeler l’attachement de la Maison de la Pédagogie de Mulhouse à un service public d’éducation digne de ce nom, c’est-à-dire capable d’accueillir chaque enfant en tant que personne unique riche de capacités et de potentialités, porteur d’émancipation individuelle et collective, de justice sociale, respectueux de la diversité culturelle et des valeurs de coopération, de solidarité et de réciprocité entre les différents acteurs d’une éducation conçue à la fois comme droit individuel et comme bien commun inaliénables.

Ceci est la motion adoptée à l’unanimité par le Comité d’animation de la MPM  lors de sa réunion du 19 juin dernier.

Elle s’inscrit dans la droite ligne du Communiqué de Convergence(s) pour l’Éducation nouvelle, à la rédaction duquel la MPM a contribué en tant que membre de ce Collectif, et dont voici la teneur.

Avis de tempête : l’heure des choix… Faire front contre l’extrême droite

Les résultats électoraux du 9 juin confirment globalement une poussée de l’extrême-droite en Europe, inédite en France. On pourrait y voir le résultat d’une politique sociale affligeante accompagnée d’une banalisation de thèmes réactionnaires ces dernières années, au prétexte d’y faire front.

Les horizons politiques sont bousculés et confirment d’importants dangers pour les démocraties.

Les éducateurs (parents, enseignants, animateurs, travailleurs sociaux, ...) ne peuvent qu’être inquiets du programme rétrograde de la vague brune, « choc des savoirs » mais en pire : limitation des apprentissages aux fondamentaux et à une histoire nationale revisitée, renforcement de l’orientation précoce des élèves, remise en cause d’une filière secondaire ouvertes à toutes et tous, suppression de l’enseignement des langues et cultures d’origine, port de l’uniforme à l’école, reprise en main de la formation, du contenu et des modalités des enseignements… Les autres lieux d’éducation moins formelle, de culture, de loisirs ne sont pas épargnés...l’ensemble visant la « restauration du principe de transmission et de l’autorité ».

Promesse d’une politique éducative au pas de l’oie, alliant conservatisme pédagogique, promotion de la préférence nationaliste et sélection au mérite. Au prétexte de « rétablir l’excellence éducative », c’est une violente ségrégation sociale qui serait renforcée, associée à la promotion de valeurs rances.

Ces options sont aux antipodes de l’Éducation nouvelle, rassemblée autour de pratiques, d’orientations et de principes communs, propres à fonder une autre éducation au regard des enjeux du siècle. Elles sont aussi aux antipodes des valeurs de toutes celles et ceux qui militent pour une vie digne pour tous, pour une bifurcation du monde vers la construction d’un nouvel ordre social.

Notre époque appelle en effet à une démocratisation élargie de l’accès à une culture commune et émancipatrice dans un monde complexe et mouvant, à développer l’esprit critique vis-à-vis d’un flux informatif permanent et incontrôlé, à promouvoir une école qui réponde à des perspectives politiques et transformatrices à visée émancipatrice, à développer des rapports de coopération et de compréhension réciproque entre nos communautés d’appartenance et entre les peuples, pour un monde pacifié où prévaut - contre tous les égoïsmes, replis identitaires et prédations - le souci du bien commun. À l’heure où notre rapport à l’autre, à une altérité incluant notre rapport au vivant, est fortement dégradé, où la crise climatique creuse encore davantage les inégalités, nous avons besoin de solidarités fortes.

 

Face au danger, nous appelons les éducateurs à faire front : demain reste à écrire !

Commencer, dès maintenant, à dessiner les contours d’un service public d’éducation digne de ce nom

C’est, par exemple, ce que fait Stéphane Germain, collaborateur du Café pédagogique, dans l’Expresso du 20 juin en proposant une « autre » gouvernance de notre système éducatif. Des propositions qui résonnent avec des propos déjà entendus à la MPM, que ce soient ceux de Patrick Rayou au nom du Collectif d’interpellation du curriculum (CICUR) ou ceux de Romuald Normand, lors de son intervention du 21 mai dernier.

Constitutionnaliser l’éducation

« Comme pour l’avortement, quand il s’agit de protéger des droits fondamentaux, la solution la plus rassurante est celle de la constitutionnalisation. Reconnaître, dans la Constitution, l’éducation comme un bien public, en posant le principe – cher à l’UNESCO – de la production et de la diffusion des ressources éducatives libres par le service public, serait une garantie face à la marchandisation rampante. De la même façon, inscrire dans la Constitution le principe – encadré par la loi – de la liberté pédagogique (qui laisse à la communauté enseignante le libre choix des supports et des approches pédagogiques), permet de se prémunir contre le risque d’uniformisation des pratiques qui facilite une instrumentalisation potentielle tout en réduisant la pertinence des réponses éducatives. »

Logique de consensus pour les attendus nationaux

« Dans le cas français, en matière d’éducation, si l’on compare avec de nombreux pays étrangers, une clarification du domaine de la loi semble nécessaire. L’éducation est un service public qui repose sur des considérations d’intérêt général. A cet égard, dans une société plurielle où se confrontent différentes visions du futur, la définition des attendus nationaux – ce que les élèves doivent acquérir par l’éducation – suppose d’aboutir à un consensus. Pour soustraire la conception des attendus nationaux aux pressions particulières de toutes sortes, il semble important que ceux-ci soient définis, sur le temps long, par la représentation nationale.

Le temps où le système éducatif était le lieu de transmission des savoirs disciplinaires de type universitaire est révolu. Dans un monde complexe, les enjeux sociétaux portent sur l’acquisition de compétences. Le rôle intrinsèque de l’éducation est d’apprendre à vivre ensemble et à construire ensemble le monde de demain. C’est ce que nous enseignent les organismes internationaux lorsqu’ils élaborent des référentiels de compétences supranationaux servant de base à la définition des attendus des pays membres. »

Gouvernance démocratique de l’éducation

« La réalité éducative est complexe. C’est pourquoi les recommandations des organismes internationaux, portées par la recherche, suggèrent de mettre en place une gouvernance démocratique de l’éducation en reconnaissant les acteurs de terrain, en prise avec les élèves, comme pleinement légitimes pour construire les activités pédagogiques pertinentes. Concrètement, suivre les recommandations de bonne gouvernance consiste à donner le pouvoir d’agir aux enseignants en accordant une large autonomie pédagogique aux établissements scolaires. Il s’agit de sortir de la normalisation bureaucratique qui enferme l’activité éducative dans des procédures très éloignées des valeurs et des principes de service public. Supprimer les dispositifs préconstruits, accorder une forme d’initiative curriculaire aux établissements scolaires, revient à reconnaître pleinement les enseignants comme des ingénieurs pédagogiques concevant des activités éducatives répondant aux attendus nationaux en fonction des besoins des élèves. La logique est horizontale. Elle repose sur la confiance accordée aux enseignants et sur la capacité collective de mutualisation des pratiques au travers des nombreux réseaux éducatifs. L’approche centralisée d’une politique éducative descendante laisse alors la place à une logique de stratégie éducative partagée par l’ensemble des acteurs du système éducatif au sein de laquelle l’encadrement jour le rôle de facilitateur du changement éducatif. »

Evaluation globale de l’activité éducative

« Les enseignants ne vont pas spontanément vers la construction collective des activités pédagogiques lorsqu’on accorde l’autonomie pédagogique aux établissements scolaires. La recherche nous enseigne qu’il faut créer les conditions de cette autonomie. Pour cela, il faut revoir le système d’évaluation de l’activité éducative. Les inspections individuelles, reposant sur une logique de contrôle de l’activité prescrite, n’ont plus de sens dès lors que l’éducation n’est plus normalisée. C’est pourquoi les organismes internationaux recommandent de basculer vers une approche globale. Il s’agit de faire des établissements scolaires des organisations apprenantes. En définissant des référents éducatifs non prescriptifs, qui déterminent le cadre général aux évaluations globales, il est possible d’accorder une part d’initiative curriculaire aux établissements scolaires. Ceux-ci devront alors justifier de leurs choix pédagogiques au regard des référents nationaux. La conception pédagogique des établissements scolaires devient alors une source de fierté et de reconnaissance par l’institution.

Mettre en place des procédés cognitifs et réflexifs de l’activité éducative afin de permettre la reconnaissance institutionnelle du travail des enseignants et de favoriser le changement éducatif suppose de faire évoluer le rôle de l’inspection. D’une posture de contrôleur de l’activité prescrite, les inspecteurs basculent vers celle de facilitateur de l’activité éducative en favorisant la mutualisation des pratiques. Cette bascule ne peut pas se faire sans un changement de culture professionnelle qui s’opère volontiers lorsque le corps des inspecteurs devient indépendant du pouvoir exécutif. »

Et Stéphane Germain de conclure :

« Régression scolaire généralisée

Beaucoup d’observateurs l’ont souligné : en France, notre système éducatif, englué dans sa bureaucratie, bride la créativité pédagogique des enseignants. Sortir de cette régression suppose d’activer les leviers structurels et de mettre en place le ministère du 21ème siècle, celui qui repose sur une gouvernance démocratique de l’éducation. »

 

Continuer à développer une vision positive de l’avenir de l’école et du service public d’éducation

C’est tout le sens de la parution, en cette fin juin, de l’ouvrage de Roger-François Gauthier et Jean-Pierre Véran, deux membres fondateurs du CICUR, Manifeste pour le collège :

«Depuis cinquante ans, les gouvernants ont voulu « réformer » le collège et tous ont échoué à le faire faute de poser les vrais termes de sa démocratisation. Ils pensent même aujourd’hui lui appliquer de vieilles recettes qui vont renforcer son caractère ségrégatif et accroître ses fractures. À l’opposé de ces politiques, les auteurs proposent un nouveau cadre qu’ils soumettent au débat public.

Partant du fait que le collège est, durant quatre ans, l’école au cœur de la scolarité de tous les enfants, ils argumentent en faveur d’une nouvelle vision d’un collège à inventer, un collège qui soit le lieu d’une scolarisation épanouissante pour toute une génération au sein d’une même institution publique. Pour y parvenir, il est nécessaire de s’émanciper des modèles hérités du passé qui compriment en d’étroites frontières les possibilités d’action des enseignants comme des élèves.

Il ne s’agit pas seulement d’agir contre ce qui fait que le collège contribue plus à la sélection sociale qu’à l’ancrage d’une culture commune. Il s’agit aussi de questionner tous les savoirs qui sont traditionnellement ceux du collège, leur fondement et leur organisation. Il s’agit aussi, en élargissant la réflexion, de s’interroger sur un collège qui, dans le cadre de l’Etat, devrait être bien davantage relié à son environnement et à son territoire, et devrait être, pour les jeunes comme pour les adultes qui les encadrent, cette école active de démocratie dont la société a le plus grand besoin. ».

C’est aussi le sens de la conclusion de la chronique de Philippe Meirieu publiée dans l’Expresso du 24 juin, sous le titre : « Il fait noir au pays des Lumières » :

« Choisir l’éducation contre la complicité des fatalismes est plus que jamais nécessaire. Car nos enfants auront un futur - le futur arrive toujours, c’est la mécanique de l’horloge -, mais il n’est pas certain qu’ils aient un avenir : une société où, selon le vœu des Lumières, on puisse « penser par soi-même » et « construire du commun ». Et cet avenir est bien entre nos mains. »

C’est aussi le sens, la raison d’être de la MPM, plus particulièrement encore en ces temps d’incertitude généralisée. Car, quel que soit le résultat des élections législatives au soir du dimanche 7 juillet, c’est l’avenir de notre système éducatif, notamment de notre école, qui est en jeu.

Quelle que soit la couleur de l’Assemblée nationale, quel que soit le nom du Premier Ministre à la rentrée de septembre, le devenir de l’éducation est une affaire trop sérieuse pour être confiée aux seuls politiques.  L’invention d’un service public d’éducation tel que celui que la MPM appelle de ses vœux dans la motion présentée en ouverture de ce Billet ne peut être qu’une entreprise collective.

À la rentrée de septembre, la Maison de la Pédagogie de Mulhouse continuera d’être là pour accueillir toutes celles et tous ceux qui souhaitent, sans attendre, contribuer à cette aventure.

À la rentrée de septembre, la Maison de la Pédagogie de Mulhouse maintiendra, quels que soient les aléas et la durée de la traversée, le CAP vers un service public d'éducation digne de ce nom, porteur d'une société plus démocratique, plus juste, plus solidaire.

Pour contacter la MPM : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

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